Lucile Viaud
Propos recueillis par Elodie Villalon
Photographies : Elodie Villalon
Lucile Viaud est artiste chercheure, spécialisée dans la formulation de verre à partir de ressources naturelles géolocalisées. À la croisée des sciences, du design et de l'artisanat, sa démarche valorise les territoires et ses matières à travers l’objet verre.
Dans le cadre du reportage Artisans de la Mer, Relief Expérience s’est intéressé aux techniques et à l’utilisation de ressources naturelles développées par Lucile, plus particulièrement les déchets de la filière de la pêche et de l’aquaculture en Bretagne : coquilles, carapaces, arêtes, algues.
D'où viens tu ?
Je suis née à Pont À Mousson en Lorraine, le pays du verre. Je suis issue d’une famille d’artisans et d’artistes, mon grand-père était menuisier, ma grand-mère peignait et a sculpté le bois, j’ai toujours eu un lien fort avec la matière.
Quel est ton parcours ?
Après des études d’arts appliqués, j’ai suivi un cursus en design d’objet à l’école Boulle. Aujourd’hui artiste-chercheure, je suis spécialisée dans le travail du verre et je développe des matériaux bio-sourcés à partir desquels je crée des objets.
Comment est née ton envie de valoriser les ressources marines ?
Au cours de mes études de design d’objet, il nous était souvent demandé de faire de la modélisation 3D. J’ai trouvé que ce processus prenait trop peu en compte la source et les particularités des matériaux de production.
J’ai donc cherché à partir du matériau à créer des objets qui fassent sens par rapport à leur propriétés. À partir de là, j’ai commencé à m'intéresser aux ressources naturelles et plus particulièrement aux ressources considérées comme des déchets dans la filière de la pêche et de l’aquaculture en Bretagne : coquilles, carapaces, arêtes, algues. À force d’expérimentations, j’ai mis au point pour mon projet de fin d’études deux recettes composées de produits marins : le plâtre de mer et le verre marin.
Diplômée en 2015, j’ai poursuivi mes recherches sur le verre marin et j’ai collaboré avec le CERFAV (Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers) en Lorraine avec qui j’ai pu réaliser mon premier essai de fusion. Ça a été le déclencheur. Pendant une année, j’ai mis en place les partenariats logistiques et la filière afin de créer ma première collection d’objets à base de ressources marines.
Peux tu nous parler de ta marque Ostraco ?
Lorsque les premiers résultats de verre marin ont vu le jour, j’ai décidé de m’y consacrer pleinement en intégrant les Ateliers de Paris - incubateur des métiers de la création, et créer la marque Ostraco, en 2016.
Grâce à une campagne crowdfunding, j’ai pu produire et commercialiser la première collection Ostraco baptisée Pots, composée d’un ensemble d’objets, utilitaires ou décoratifs, pensés et conçus pour être des basiques de la maison. La première série a été réalisée en verre marin Glaz, du vieux breton Glas, nuance située entre le vert et le bleu souvent utilisée pour décrire les différentes teintes que peut prendre la mer en Bretagne. Finalement, il aura fallu 18 mois afin de mettre au point cette recette de verre ! La couleur profonde, les reflets ondulés et ses microbulles en font par ailleurs toute sa singularité.
Explique nous ce qu’est la géo verrerie ?
La géoverrerie représente l’idée selon laquelle le verre peut refléter les caractères naturels et humains de la région dont les matières premières sont issues. En d’autres termes, il s’agit d’une démarche de valorisation et de compréhension du territoire à travers le prisme de ses ressources naturelles.
Depuis 2017, je développe toute une palette de verres propre à chaque région (Occitanie, Bretagne, Grand-Est, etc.) présentant de fait diverses spécificités et fonctionnalités. Une fois sourcés, ces éléments naturels me permettent de formuler mes recettes de fabrication avec pour objectif que celles-ci fusionnent correctement dans un creuset. Chaque territoire ayant sa propre identité, il y a un lien très fort entre le paysage d’origine et le verre que j'obtiens : sa couleur, son caractère à chaud, sa viscosité… De fait, une même ressource naturelle sourcée dans deux lieux différents produira un verre au caractère unique avec des spécificités qui lui sont propres.
Le saviez-vous ?
Développé en 2019, le Verre de Rouergue est formulé à partir de « matériaux rescapés » des paysages d’Aveyron : sable du Lot recueilli en 1976 dans le hameau de Montarnal, cendres de bois de chauffage de la vallée de la Truyère, coquilles d’escargots confiées par Thierry Ollitrault, un héliciculteur local. Sa couleur d’ambre nous emmène sur les berges du Lot.
A partir de ces géoverres, je confectionne en collaboration avec Stéphane Rivoal de l’atelier Silicybine, spécialisé dans le travail du verre à chaud, des pièces de différentes échelles en petites séries.
Cette valorisation du territoire se fait également à travers les partenariats mis en place avec les acteurs locaux. Les coquilles d’ormeaux que j’utilise dans la recette Glaz proviennent de la production biologique de Sylvain Huchet, éleveur dans le Finistère. Les pains de soude de goémon nécessaires à la fabrication du verre Abysse sont produits quant à eux à l’écomusée de Plouguerneau. D’ailleurs sous chaque pièce, une petite mention mentionne le lieu, la date de fusion et la provenance du verre marin utilisé.
Comment définirais-tu ta démarche d’artiste chercheure ?
Ma démarche mêle art, artisanat, histoire et sciences avec pour objectif de créer des matériaux et des objets riches de sens et respectueux de l'environnement.
Passionnée par divers domaines scientifiques comme les géosciences, l'archéologie ou encore les arts antiques, mon travail est basé sur le retour aux techniques verrières ancestrales. Comment faisait-on du verre à l’origine jusqu’à l’apparation de la chimie industrielle ? Les phases de terrain, d’essais et d’expérimentations sont d’ailleurs des périodes d’investigation longues de plusieurs mois avant d’établir une recette de verre qui fonctionne.
Dans une logique de création artisane, j’explore et travaille la matière de la manière la plus respectueuse possible. Je défends l'idée que le déchet n'existe pas et que le "rebut" peut se révéler être une matière première de qualité pour créer de nouveaux matériaux. Je souhaite montrer que le designer à son rôle à jouer dans la préservation de nos ressources, dans la valorisation du patrimoine et des savoir-faire de nos territoires.
Quels sont tes futurs projets ?
Je souhaite déménager l’atelier de création et de verrerie en Ille-et-Vilaine et investir ce lieu de la façon la plus intelligente possible. J’aimerais par exemple récupérer l’énergie des fours pour chauffer les bâtiments et réutiliser l’eau qui sert à polir les pièces pour alimenter les jardins maraîchers. Que ce lieu soit autonome, éco-responsable et en accord avec les valeurs qui m’animent.