Alexandre Labruyère

Propos recueillis par Charlotte Cornette
Photographies : Charlotte Cornette


Mon travail s’articule autour de trois axes fondamentaux : la tension, la légèreté et la simplicité.

Quel est ton parcours ?

Depuis tout petit je suis un touche à tout. Je passais mon temps avec un outil à la main pour tailler dans des bûches, démonter mon vélo, construire des structures. 

D’abord formé au design industriel, j’ai exploré plusieurs secteurs qui m’ont permis d’approfondir mon goût pour les matériaux et mon appétence à les utiliser.  Passionné par mon métier de designer, j’ai utilisé chacune de mes expériences professionnelles pour en découvrir de nouvelles facettes.  Après plusieurs années au sein d’une grande entreprise industrielle d’équipements de sport, je me forme au métier d’ébéniste en 2019 à l’Ecole Boulle à Paris. Le CAP en poche, je lance mon entreprise en juillet 2020.

D’où vient ton intérêt pour le travail du bois ?

C’est une question que l’on me pose souvent ! Je n’ai pas vraiment choisi le bois, mais plutôt la technique de fabrication artisanale qu’il implique. Pour sortir du monde industriel où je devais réfléchir en permanence à la combinaison prix/quantité, je souhaitais pouvoir prendre le temps de fabriquer un produit presque unique à chaque exemplaire.

C’est aussi mon intérêt pour le mobilier d’intérieur qui m’a poussé à choisir l’ébénisterie. Cet univers me permet d’allier la réflexion liée au design par les formes et l’usage, ainsi que l’artisanat par mon choix de fabriquer toutes mes pièces. Je développe également petit à petit mon éventail de matériaux. Par exemple, j’ai intégré un plateau en pierre de Soignies à ma dernière table basse, travaillé avec un marbrier local.

Je n’ai pas vraiment choisi le bois, mais plutôt la technique de fabrication artisanale qu’il implique.

Quelles sont tes méthodes de fabrication ?

Comme j’ai pu apprendre les techniques de fabrication traditionnelle j’aime utiliser un maximum les outils manuels comme le rabot, la wastringue (mon outil préféré !), les râpes, la scie. Mais je me rends compte que ma meilleure amie est la défonceuse, car en fabriquant mes propres gabarits j’arrive à un résultat de forme parfaite par rapport à mon dessin initial. D’autres machines comme la scie à ruban, la scie sur table et la raboteuse sont des machines indispensables pour la préparation de mes planches de bois.

J’utilise aussi beaucoup le tour à bois qui m’a permis de libérer ma créativité au début.  J’ai la chance d’avoir accès à un parc de machines et d’outils complet me permettant de donner vie à toutes mes idées. 

Où trouves tu ton inspiration ?

Féru de voyage à vélo, j’ai parcouru de nombreux lieux dont les paysages m’ont marqués, et me servent aujourd’hui d’inspiration pour mes créations. En observant attentivement les éléments de ces décors, j’en retire des principes fondateurs qui vont guider chaque collection.

Les meubles et objets sont comme des éléments sortis de terre : la pétiole, les roseaux des marais du Sud, les champs d’herbes sauvages du Nord. Tous ces objets créent aujourd’hui le paysage imaginaire et poétique, peuplés de référence à une nature sauvage mais familière à la plupart d’entre nous.  

L’univers que je souhaite créer est empreint d’une poésie familière

Qu’est-ce que tes créations racontent de toi ?

Je suis quelqu’un d’assez rigoureux et pragmatique. Mon travail s’articule autour de trois axes fondamentaux : la tension, la légèreté et la simplicité. Ces trois notions guident mes recherches, mes expérimentations, la création et la fabrication de tous les produits de mon catalogue. Ils donnent également une structure et une base commune à chaque objet imaginé et créé.

La recherche d’une ligne tendue mais souple au regard guide mon travail. Les contrastes apportés à travers les teintes noires la rehausse et lui donne du relief. La simplicité, dans son sens positif, confère à l’objet une forme d’évidence à celui qui le regarde. Évidence de la fonction et de l’usage, évidence de la juste ligne, et enfin évidence de l’émotion.  Car l’univers que je souhaite créer est empreint d’une poésie familière : nous ne sommes pas face à des objets qui nous déroutent ou nous dérangent. Ils viennent plutôt consolider notre monde intérieur, et font appel à une mémoire des formes intemporelles. 

Peux-tu nous décrire ton environnement de travail ?

C’est au sein de la COFABRIK, lieu de création partagé à Lille, que j’ai choisi de m’installer. Cet espace héberge de nombreux créateurs : facteur de clavecins, vitrailliste, céramiste, plasticiens, luthier, etc., nourrissant ainsi les échanges autour de la création contemporaine et traditionnelle.

La Cofabrik est une association où chaque résident est bénévole. En tant que résident, j’ai la chance de profiter d’atelier privé. J’ai également pour mission d’entretenir le lieu, son fonctionnement et aussi ouvrir les portes de nos ateliers partagés quotidiennement aux habitants du quartiers et aux professionnels ayant besoin de machines de façon ponctuelle. Ce lieu de rencontre enrichit mes relations et me permet de sortir la tête de mes créations.

Travailles-tu plusieurs médiums en même temps ?

Mon processus de fabrication passe par différentes étapes et médiums. Je commence par des croquis sur mon carnet pour ne pas oublier les idées qui me traversent la tête, puis l’usage de la conception 3D me permet de rapidement valider des proportions, des lignes et des formes. Puis, direction l’atelier ! Le bois reste le matériau que j’utilise majoritairement. La pierre commence tout doucement à prendre de la place et je commence à réfléchir à des créations où je pourrais utiliser des matériaux biosourcé.

Comment sources-tu ta matière première ?

J’essaie d’avoir un impact minimum sur l’environnement. Je vais chercher mon bois dans des scieries qui coupent du bois de la région des Hauts-de-France et qui connaissent la forêt d’où il provient. Je fais une seule exception sur le hêtre, qui vient de France, pour ma collection Roseaux qui utilisent des tourillons. Mais j'ai récemment trouvé quelqu’un qui accepte de me les fabriquer en hêtre des Hauts-De-France.

Les chutes de bois que je ne peux pas utiliser sont données à des particuliers pour leur chauffage. Pour les copeaux, c’est le champignonnier de la Cofabrik qui installé dans notre cave qui s’en sert pour son paillage. La sciure est donnée pour les toilettes sèches.

La pierre est une pierre de Soignies que l’on trouve dans des carrières du nord de la France et de Belgique.

J’essaie d’aller plus loin sur la provenance des matériaux des caisses pour livrer mes meubles (caisse carton recyclé, recyclable et ultra résistante) et travaille à trouver une solution avec la Chambre des Métiers et de l’Artisanat pour recycler tous mes consommables. Mais ça, c’est une autre histoire ! 

Quels sont tes projets futurs ?

J’ai beaucoup de projets à court terme qui viendront étoffer mes collections actuelles : création de chaises hautes, d’une console avec la pierre de Soignies, etc. J’ai également la production d’un luminaire suspendu qui va bientôt commencer.

J’aime nourrir ma créativité en collaborant avec d’autres artisans. Actuellement, je crée une pièce avec l’artiste céramiste Aude Bray-Deperne que nous allons bientôt partager ! A moyen terme j’aimerais aussi intégrer le métal dans mes créations. Et à plus long terme, c’est la structure de mon entreprise qui me préoccupe… mais c’est un autre sujet !


Pour en savoir plus

Alexandre Labruyère

@alexandrelabruyere


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