Relief Magazine — Studio Ammó

Propos recueillis par Bérénice Sultra
Photographies : Matthieu Barani, Studio Ammó

“Le style Ammó tire sa singularité de l’association de matériaux nobles et de coloris naturels, véhiculant l’image d’un design épuré et accessible”

Tous deux designers produit de formation, Justine Fournier et Romain Pierrot se sont rencontrés sur les bancs de l’Ecole de Condé à Paris. Co-fondateurs du Studio Ammó, ils partagent leur quotidien entre un atelier de production dans les Hauts-de-Seine et la maison familiale dans le Morbihan. L’atmosphère sauvage et singulière des côtes bretonnes y est propice à la créativité.

Emprunté au grec ammólofous (« dune »), le nom du studio résonne déjà comme une invitation au voyage. Le binôme promeut un design de l’émotion qui s’adresse aux amoureux de la nature et des belles matières. En quête d’authenticité, Justine et Romain nous interpellent sur la nécessité de se réapproprier le goût de l’objet fait-main et de consommer autrement.

Sensible à leur démarche, Relief Mag a souhaité en découvrir davantage. Cap sur la côte atlantique !

Quelle est l’origine de votre projet ?

Studio Ammó a vu le jour en novembre 2020, dans un contexte artistique délicat. Après plusieurs confinements, le milieu du design tournait au ralenti et nous étions en recherche d’une activité professionnelle. C’était la période idéale pour développer un projet selon notre vision du métier et explorer différemment la corrélation entre l’art et l’ingénierie. Cet intérêt commun pour le design d’objet a largement influencé notre souhait de travailler en binôme.

On a lancé le studio en s’inspirant d’un modèle de travail en petite structure, entre épanouissement créatif et production plus humaine. On rêvait de pouvoir enfin définir notre identité et d’en partager les valeurs à l’écart de la pression des grandes agences.

En faisant le choix de l’auto-édition, Studio Ammó se positionne à la croisée du design et de l’artisanat. Quelles motivations se cachent derrière ce parti pris audacieux ?

Suite à diverses expériences professionnelles, l’alliance du design et de l’artisanat est apparue comme la manière la plus épanouissante et concrète d’exercer notre métier. Outre les challenges qu’un tel parti-pris implique, nous maîtrisons désormais le processus créatif de A à Z, du dessin à la production sans oublier la communication. On bénéficie d’une autonomie et d’un pouvoir de décision incroyables !

“Un objet pensé et fait-main par la même personne reflètera avec d’autant plus de justesse l’intention de son créateur. ”

L’auto-édition répond également à une profonde envie de fabriquer avec nos mains et de renouer avec l’âme des objets. L’artisanat insuffle, au cœur de la pratique du design, des notions essentielles de matérialité et d’authenticité. Un objet pensé et fait-main par la même personne reflètera avec d’autant plus de justesse l’intention de son créateur. De ce fait, chacune de nos créations a la particularité d’être unique, numérotée par nos soins et pour certaines, déclinables sur-mesure selon les dimensions souhaitées.

Comment définiriez-vous l’esthétique de vos créations ?

On prône un design doux et enthousiaste qui fait la part belle aux courbes et à la fluidité des lignes. Le miroir Dipló, par exemple, joue de la rondeur de ses deux cercles légèrement inclinés et entremêlés. Il en résulte un concept amusant de jeu de surfaces où formes et reflets se font écho. Notre collection de vide-poches en chêne massif rappelle également, par le galbe du contour, l’univers des surf-boards ou encore la structure végétale d’une feuille.

Le style Ammó tire sa singularité de l’association de matériaux nobles et de coloris naturels, véhiculant ainsi l’image d’un design épuré mais accessible. Elégant et fonctionnel, l’objet n’en garde pas moins un certain esprit de décontraction qui nous est précieux.

Miroir Diplo
©Matthieu Barani - Studio Ammó

En tant qu’artisan-designer, quelle place occupe l’expérimentation dans votre processus créatif ?

L’avantage d’être designer de formation, et non artisan, nous permet de ne jamais se limiter à une discipline ou à un matériau lors des phases de test. Nous aimons apprendre, développer de nouveaux prototypes, apprivoiser différentes matières. Cette approche expérimentale du métier étanche notre soif de curiosité. En fait, créer en tant qu’artisan-autodidacte permet d’appréhender les techniques et les processus de fabrication de manière plus décomplexée.

Cette particularité nous invite à explorer le champ des possibles tout en se confrontant à diverses problématiques de production. Lorsque la difficulté persiste, nous n’hésitons pas à solliciter l’expertise d’un artisan spécialisé tel qu’un ébéniste. Au-delà du simple conseil, nous cherchons à trouver une solution grâce à l’apprentissage d’une technique nouvelle. Chaque collaboration avec un autre corps de métier entraîne une mutualisation des compétences ainsi qu’une transmission de savoir-faire enrichissantes.

Peut-on parler de design éco-responsable au regard de votre procédé de fabrication ?

Dans une démarche environnementale de responsabilisation et de transparence, nous nous engageons à n’utiliser que des matériaux nobles et « propres » pour l’environnement. Nous éliminons toute substance chimique ou nocive et bannissons les matériaux de type plastique et résine dans la réalisation de nos pièces. Les essences de chêne, de hêtre ou de noyer que nous sélectionnons sont issues de forêts françaises durablement gérées et certifiées PEFC.

Nous travaillons également avec le papier japonais washi. De tradition artisanale, ce papier végétal composé de fibres de mûrier kozo s’avère idéal pour la confection de notre collection de luminaires. Enfin, nous renforçons notre engagement éco-responsable en privilégiant une fabrication sur commande ou bien, selon l’objet, une production en petite série, évitant l’écueil de la surproduction.

Luminaire Neptune
©Matthieu Barani - Studio Ammó

“Les essences de chêne, de hêtre ou de noyer que nous sélectionnons sont issues de forêts françaises durablement gérées et certifiées PEFC.”

A l’heure d’une concurrence mondialisée, Studio Ammó promeut un savoir-faire à la française. Quel en est, selon vous, le principal atout ?

Sans détour, nous dirions l’authenticité de l’objet ! Plus informé, l’acheteur fait évoluer ses habitudes de consommation et manifeste son désir de contribuer au respect de l’environnement en achetant plus intelligemment. Grâce à une prise de conscience écologique, le citoyen peut agir à son échelle et choisir de produire ou de consommer des objets durables et de qualité ! En revendiquant une fabrication artisanale de proximité, nous défendons un savoir-faire exigeant et entretenons fièrement la culture du design et de l’artisanat français.

Parlez-nous de vos sources d’inspiration. J’observe une certaine prédilection pour le milieu océanique. Comment cela influence-t-il votre processus créatif ?

Le mantra océanique est notre principale source d’inspiration, un marqueur fort de notre identité. Il inspire tant le motif et la ligne qu’un état d’esprit ou une atmosphère imaginés.

Observateurs du quotidien, nous sommes sensibles à la beauté d’une plante, d’un reflet, de la lumière ou du mouvement de l’eau. Notre processus créatif consiste à retranscrire l’harmonie d’une vision ou la plénitude d’un moment. On ne s’en cache pas, notre volonté est d’apporter un soupçon d’âme et de poésie à travers l’histoire de nos objets. Seules nos inspirations - et non un besoin technique, président à l’envie de créer de nouvelles pièces. Les émotions priment sur la quête de fonctionnalité.

Au-delà de l’expérience sensorielle, dans quelle mesure vos créations incarnent-elles l’expression d’un mode de vie ?

On aspire à concevoir des pièces vectrices d’émotions, susceptibles de déclencher un attachement sentimental ou un coup de cœur chez leur propriétaire. Composer un environnement de vie à son image, à partir d’objets évocateurs de lieux et de sensations agréables, nous semble indispensable pour lutter contre la standardisation de nos intérieurs.

Dès lors, la référence à l’océan - fil rouge de nos collections - résonne de manière singulière avec l’imaginaire de chacun. C’est une invitation à découvrir notre univers et à se l’approprier.

Le fauteuil Duke, par exemple, est révélateur d’un certain style de vie sur la côte, propice à la détente et au grand air. Nous avons conçu un transat XXL aux tonalités pop et aux lignes généreuses, doté du confort d’une véritable toile molletonnée. Son allure rappelle l’ambiance estivale et décontractée d’une fin de journée à la plage. L’heure d’un repos bien mérité après une session de surf.

Quelle est la pièce emblématique du studio ?

Confectionnée en papier washi, la lampe Neptune est certainement la plus représentative de notre identité. Tout en jouant d’une certaine ambiguïté visuelle avec les astres, elle s’inspire à la fois des mouvements de la houle et des reflets sur l’eau. Son appellation fait référence à la planète du même nom, à la Lune en raison de sa forme ronde et lumineuse ainsi qu’au dieu de la mer dans la mythologie romaine.

“Neptune s’inspire à la fois des mouvements de la houle et des reflets sur l’eau.”

Rappelant la fluidité des vagues, chaque élément de papier - dessiné, découpé et assemblé à la main, s’enchevêtre avec le suivant, jusqu’à former la trame du luminaire. Les aléas du processus de fabrication confèrent à l’objet final toute son unicité.

D’un naturel soyeux, le papier washi en monochrome blanc permet également une diffusion douce et chaleureuse à la lumière qui s’y reflète. Une fois éteinte, la lampe se fait plus discrète et invite à la contemplation de sa surface par le prisme des ombres.

Pourriez-vous partager le souvenir d’une rencontre artistique significative ?

A l’occasion du lancement de la première édition du fauteuil transat Duke, nous avons collaboré avec Elisa Brouet, illustratrice pétillante dont l’univers végétal et ultra-coloré s’est naturellement mêlé au nôtre. L’élaboration du motif de la toile a été pensée selon le concept de détente estivale mentionné précédemment. Cette expérience, placée sous le signe de la complémentarité, a laissé place à une très belle complicité artistique.

Quels sont vos projets à venir ?

Actuellement, nous travaillons à la réalisation d’un double projet avec la talentueuse céramiste, Chloé Isaac. On prépare le lancement d’une édition limitée de notre table d’appoint Pandore ainsi qu’une collection de petits objets autour de l’art de la table. Indépendamment, nous réfléchissons également à la prochaine version du fauteuil Duke sans oublier une nouvelle collection d’assises.

Petit message à l’attention de tous les esprits créatifs désirant partager leur inventivité et leur savoir-faire : les portes du Studio Ammó vous sont grandes ouvertes ! A bientôt !