Pascal Jusot, artisan sabotier

Texte : Marilou Martinez-Soum
Photographies : Idris Fornairon


Les sabots en bois ont ce charme propre aux objets anciens. Nous avons tous déjà aperçu une paire posée proche d’une cheminée, à la fin d’un chemin de terre ou à côté d’une grange. Connus pour leur robustesse (et moins leur confort!), les sabots sont conçus d’un seul tenant, à partir d’un morceau de bois dans lequel est creusé un trou pour y glisser ses pieds.

Savoir-faire ancestral qui se transmettait de sabotier en sabotier, cette tradition tend à disparaître peu à peu. La France ne compterait plus que 4 ou 5 sabotiers de métier.

Marilou Martinez-Soum et Idriss Fornairon sont allées rendre visite à Pascal Jusot, l’un des derniers sabotiers du pays, installé dans les Pyrénées Ariégeoises. Ce superbe article raconté comme un récit et ponctué par les gestes assurés de Pascal est un bel hommage aux sabots de nos grands-parents.

Au coeur des terres ariégeoises

©Idriss Fornairon

En occitan, Bethmale vient de « vath » et « mala » ce qui veut dire mauvaise vallée. Est-ce à cause des guerres, d’une roche douteuse ou des avalanches répétées ? Ou bien était-ce le repère des prédateurs ? Des loups, des ours. Nous n’en savons rien. Ce que j’ai appris plus tard, c’est que les habitants ont préféré la déguiser en « beth » et « malh », soit belle montagne,et c’est une étymologie qui lui va bien.

Quand on arrive sur la D17 direction Arrien-en-Bethmale, la vue sur le pic de Balam est imprenable. Pour l’admirer, on s’arrête là, en plein virage, au pied du panneau Parc Naturel Régional Pyrénées Ariégeoise. La haute montagne enneigée est bordée de nuages et si on attend un peu, on peut voir le vent la déshabiller.

La vallée aux mille granges comme on l’appelle, entoure la commune de tout son vert nous donnant l’impression d’être dans une bulle de mousse. Jusqu’au début du XXème siècle, les bergers transhumaient vaches et brebis du printemps à l’été. On partageait les veillées, dormait et dinait dans les granges. Celles-ci sont faites de pierres, d’ardoises, de chaume de seigle et de bois.  les habitations étaient autrefois rudimentaires mais chacun apprenait à composer avec. Les corps se restauraient de soupe au lait, pain et pommes de terre. Le dernier jour, on agrémentait le pastet de farine de maïs - notre polenta à nous - de crème. N’oublions pas qu’avant la guerre, quatre-vingt-quinze pour cent de la population était paysanne. La révolution industrielle a usé de ses charmes, entraînant avec elle la migration vers les villes. Les campagnes, dont la commune d’Arrien-en-Bethmale, se sont vidées avec le déclin des populations restantes. Aujourd’hui, on regarde les granges avec envie. En faire son chez soi, être réveillé par le chant des oiseaux en jouissant d’une vue imprenable sur les Pyrénées. Le coin attire randonneurs et curieux, pour les vacances ou à l’année pour les plus courageux.

Le sabot de Bethmale : entre Histoire et légende.

Dans le village d’Aret qui abrite une centaine d’âmes, il y a le moulin de la Caraoule, une ravissante roue à eau sur laquelle repose une paire de sabots entourée de fleurs rouges et jaunes. Pascal Jusot est l’un des derniers sabotiers de France, et l’ultime détendeur du savoir-faire bethmalais.

Au bout du chemin, une plaque de bronze gravée marque notre arrivée. Pascal Jusot nous accueille sabots aux pieds, qu’il porte avec beaucoup d’élégance. Avec une grande aisance aussi, comme on porte des baskets ou des pantoufles. Je me demande s’il conduit avec.

L’atelier et la boutique jouxtent sa maison autour d’une petite cour de graviers. Comme beaucoup d’artisans d’art, Pascal vit là où il travaille. Le bois domine les bâtisses et de sa fenêtre, il a une vue folle sur les montagnes. D’origine parisienne, ce qui ne manque pas de nous surprendre ! c’est en vacances au pays comme on dit ici, que Pascal Jusot découvre ce savoir-faire stupéfiant, étonnant. En fait, il nous parle d’un véritable coup de foudre. À l’époque, il ne restait deux sabotiers dans la région et lors de sa visite au sein d’atelier, c’est une révélation.

En France, on ne compte plus que quatre ou cinq artisans sabotier de métier.

©Idriss Fornairon

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Connaissez-vous la légende ?

Au IX ème siècle, les maures envahissent les Pyrénées. Leur défaite à Toulouse les pousse à s’éparpiller dans les vallées, dont celle des mille granges. La légende, elle, raconte qu’un chef maure s’éprend de la plus jolie fille du coin, Esclarlys, ce qui signifie « teint de lys sur fond de lumière ».

Son fiancé, le berger Darnert, l’apprend et déracine deux arbres. Des noyers courbés, dans lesquels il taille une paire de sabots à pointes fines. Un lendemain de fête maure, les bethmalais se mettent en marche afin de livrer un ultime combat dont ils sortiront vainqueurs. Darnert accroche aux pointes de ses sabots le coeur de son rival et celui de sa fiancée.


©Idriss Fornairon

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Un métier exigeant, mêlant rigueur et passion

Dans les années 80, sabotier n’est pas vraiment ce qu’on appelle « un métier d’avenir ». À force de persévérance, Pascal convainc Marcel Catala de perpétuer la tradition, et de le former. La chambre des métiers ne dispose pas d’unité de formation « sabots ». Il faut trouver des trucs et astuces pour financer. Et cela fonctionne. En 1981 et pendant trois ans, il apprend tout à la main. Il crée son atelier à Ariet en 1984 et à la retraite de Marcel, il récupère le sien, dans le village d’Audressein. Aujourd’hui, il navigue entre les deux lieux.  Le gros oeuvre est réalisé à Audressein : scie, tronçonnage, creusage, façonnage, séchage et un peu de ponçage. Les finitions, elles, se font à Ariet.

Trois ans d’apprentissage donc, mais il faut une vie pour se perfectionner. Le matériel, en plus de se faire rare, se trouve vieux, usé ou rouillé. Apprendre à le manier demande du temps. Ajuster, régler, adapter. La première partie du travail, c’est à la machine. Le reste, à la main. Les plus récentes ont plus de soixante ans et les anciennes, plus de cent ans.

Depuis le début des années soixante, plus personne ne fabrique ni machines, ni outils, ni même de pièces pour les réparer.. Aujourd’hui, s’installer sabotier, c’est récupérer du matériel en l’état.

Chaque sabot est une pièce unique. Il y a les sabot dits « classiques », de jardin qui représentent entre deux et trois heures de travail. Ceux-ci suscitent aujourd’hui un véritable regain,  notamment chez les maraîchers. S’ils sont bien faits, ils sont très confortables, et en plus d’être esthétique, le bois est un matériau sain et isolant.

Le matériel, en plus de se faire rare, se trouve vieux, usé ou rouillé. Apprendre à le manier demande du temps.

©Idriss Fornairon

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Un processus de fabrication authentique

Il existe un gabarit pour chaque pointure et chaque forme de sabot. Une fois sortis des machines, les sabots « reposent » environ deux mois, avant d’être creusés. Cette technique, appelée « repasser » permet d’enlever les défauts laissés par la machine. Le secret, c’est d'apporter beaucoup de soin à la forme intérieure du sabot, ce qui le rend facile à porter.

La forme extérieure des sabots se fait entièrement au paroir et uniquement au coup d’oeil. Le paroir, c’est l’outil de base du sabotier. Une lame d’acier affutée comme un rasoir, laissant derrière elle de longs copeaux de bois. Pascal Jusot travaille à l’ancienne, comme Marcel. Chaque mouvement est maitrisé car il ne faut pas perdre de matière. Viennent ensuite le vernis, puis la pose des semelles en caoutchouc qui évitent une usure prématurée..

Pour tous ses sabots, Pascal navigue en local. Il va chiner les pièces rares en forêt, autour de la vallée.

Enfin, la gravure, signature de chaque sabotier, est réalisée à la rainette. Entre le nez et la bride surgit un épi de blé. Le motif n’a pas de signification particulière, c’est pour faire joli. Certains demandent un ours, une fleur, un chien. Il arrive que Pascal travaille à la demande. Une paire de sabots de Bethmale a toujours sa propre histoire. Les étapes sont plus ou moins les mêmes mais il faut trois, quatre, voire cinq jours de travail. Sans compter la recherche du bois : « elle, c’est un poème ». Du hêtre, du boulot, du noyer, qu’il faut trouver tordu, ce qui est rare. Dans les pentes, l’arbre se plie pour aller chercher la lumière. Couché par la terre ou la neige, il repousse à la verticale formant naturellement cet angle droit indispensable à la fabrication du sabot et de sa pointe. Il ne faut ni branche, ni noeud.

Pour tous ses sabots, Pascal navigue en local. Il va chiner les pièces rares en forêt, autour de la vallée. Une partie du bois peut être débitée à la scie à ruban. Il le laisse sécher quelques temps à l’abri du soleil, de la pluie, mais à l’air. Quand le bois sera « essuyé » sans être trop sec, les outils le travailleront mieux. Les sabots de Bethmale se font au fur et à mesure qu’ils sèchent pour ne pas qu’ils se fendent.

Si les sabots sont destinés à être portés, la personne vient les essayer deux fois. Au début puis au bout de quelques mois, pour ajuster. Ce modèle sèche plus longtemps, pendant quatre à six mois. Ensuite, il faut les affiner. C’est le plus délicat. Pascal nous fait face, sabots en mains. Du talon à la pointe et de la pointe au talon, ces deux là sont parfaitement symétriques, comme s’ils se regardaient dans une glace. Après le ponçage, vient l’habillage. Une peau de cuir tendue et cloutée. Contrairement aux sabots de jardin, la bride est en métal. Plus solide mais moins confortable. L’acier lisse est issu de boites rondes et la découpe se fait selon un gabarit. Avant, rien ne se perdait et l’important était de pouvoir le récupérer pour le passer sur une autre paire. Le sabot de Bethmale a son détail bien à lui, des petits clous sur le dessus qui forment un coeur. Pour les danseurs, Pascal fait un ourlet avec un fil de fer, plus solide. La semelle gagne en épaisseur, il faut ça pour ceux qui scandent le rythme. Ne plus sentir le bois.

©Idriss Fornairon

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Pascal cherche à transmettre son savoir-faire et voudrait trouver un repreneur. Un passionné, car « s’il n’y a pas le coup de foudre, ce n’est pas la peine »

En France, on ne compte plus que quatre ou cinq artisans sabotier de métier. Oui, il en existe sur les les foires, mais comme le dit Pascal « ils font semblant ». Ceux-là n’ont jamais touché un outil à main et proposent uniquement des sabots bien larges. Pascal lui, fait toutes les pointures : du vingt-huit pour les enfants jusqu’au quarante-sept pour les plus grands. Ce savoir-faire, Pascal cherche à le transmettre et voudrait trouver un repreneur. Un passionné, car « s’il n’y a pas le coup de foudre, ce n’est pas la peine ». Peut-être que la vallée aux mille granges accueillera encore moult envieux, attirés par la langue et le folklore. Par la vie de village, les légendes et l’odeur du bois coupé. Pour mon anniversaire, mon grand-père m’a offert une magnifique paire de sabots de jardin que je viendrai récupérer au printemps. Pascal ajustera alors la bride à mon pied et ajoutera quelques épis de blé.

©Idriss Fornairon


Découvrir le travail de Pascal Jusot

L’atelier et la boutique de Pascal Jusot sont ouverts aux visiteurs tous les jours de 15h à 19h en visite libre.

Vous avez également la possibilité d’opter pour une visite commentée le mardi à 15h pour découvrir en détail les différentes étapes de la fabrication des sabots de Bethmale et des sabots de jardin.

Pour plus de renseignements

Site internet de Pascal Jusot


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