Il est où le patron ? Chroniques de paysannes
Texte : Fiona Nell
Céline Berthier, Marion Boissier, Fanny Demarque, Florie Salanié et Guilaine Trossat sont cinq femmes se revendiquant paysannes ayant choisi le format de la bande-dessinée pour mettre en lumière leur quotidien en tant que maraichère, gérante d’une ferme, apicultrice ou encore bergère.
« Il est où le Patron ? » est une œuvre collective dont l’élaboration aura duré trois ans et illustrée par Maud Bénézit, illustratrice autodidacte ayant étudié l’agronomie. On y suit le quotidien de trois personnages fictifs, trois femmes, dont l’histoire est directement inspirée de la réalité vécue par les cinq scénaristes. À travers un récit incarné, drôle et incisif nous en apprenons d’avantage sur ce que peuvent expérimenter les femmes qui décident de se lancer dans des métiers du secteur agricole. Sans surprise, il s’agit d’un secteur où elles doivent jouer des coudes pour obtenir une place équitable et respectable. Le sexisme est monnaie courante au quotidien et il est récurent qu’on leur demande « il est où le patron ? » quand il faut traiter affaires ou technique comme nous le rappelle si bien le titre.
“Être une femme n’est jamais neutre en agriculture. Selon les cas, on peut être idéalisée, glorifiée, portée au rang de superwoman : on admire alors cette femme qui fait un métier d’homme. D’autres fois, on aimerait nous cantonner à la place d’à côté, à celle qui accueille, qui diversifie, qui assiste, qui fait la paperasse. Et si on ne rentre pas gentiment dans la case attendue, on s’expose à diverses formes d’agressivité et de violence.”
Il est où le Patron ? Chroniques de paysannes
La BD ouvre sur le personnage de Joséphine dont l’objectif est de reprendre à son compte la ferme appartenant à un homme en âge de partir pour une retraite bien méritée.
Cependant, elle se heurte rapidement à des réflexions de la part de l’administration censée accompagner son dossier, la personne s’étonnant qu’une femme reprenne « seule » la ferme. Hors de question cependant de se laisser marcher sur les pieds ! Joséphine a du caractère et compte bien revendiquer ses compétences sans courber l’échine. Son statut de féministe assumée va dans une premier temps faire reculer ses deux nouvelles amies, Coline (gérante d’un élevage de brebis pour faire du fromage) et Anouk (apicultrice), qui voient dans cette prise de position une forme d’agressivité ou de perte de temps.
Mais la colère et la frustration continuent de tisser tranquillement leur toile autour des deux protagonistes, tantôt lorsque l’une est sans cesse ramenée à sa condition de femmes soit disant trop faible ou trop tête en l’air pour assumer des tâches « d’hommes », tantôt parce l’autre gère à la fois ses brebis et les fromages, les repas du soir ou les trajets des enfants à l’école pour finalement être vue comme l’employée de son mari. Elles prennent alors conscience que le féminisme est un moyen de mettre des mots et des concepts sur des situations qu’elles subissent au quotidien. Les trois protagonistes décident alors d’agir ensemble dans un bel élan de sororité pour revendiquer la place qui leur est due et le respect qu’elles méritent auprès de leur entourage professionnel comme familial.
Tantôt espace de déversement de nos colères ou échappatoire jubilatoire, cette B.D a aussi été l’occasion pour nous de réfléchir à de potentielles voies d’émancipation, notamment collectives. Face à des situations de sexisme qui nous sautent aux yeux et nous laissent souvent impuissantes, s’esquissent désormais des scènes de B.D qui dénoncent l’oppression.
Il est où le Patron ? Chroniques de paysannes
La B.D est agrémentée d’un lexique très accessible détaillant des termes techniques propres au secteur de l’agriculture et elle se termine sur une chapitre « l’envers du décor » détaillant son processus de création.
J’ai apprécié non seulement ma lecture mais j’ai d’autant plus était conquise par le fait que cette B.D soit le fruit d’une véritable expérience de terrain dont le scénario est tiré de la réalité vécue par les cinq paysannes-scénaristes. Ce scénario a été écrit de façon à rendre la lecture très agréable, j’ai vraiment eu la sensation de suivre des histoires de vie sans longueur ou détour. Dès les premières pages, on s’attache à ces trois femmes dont les aventures font naître une amitié sincère et solidaire. De façon plus générale, le sexisme dans le monde professionnel n’est pas seulement l’apanage du secteur agricole.
Cette B.D permet donc de mettre le doigt sur des mécanismes inhérents à la société actuelle sans lourdeur ou complexité, le tout accompagné d’une histoire qui donne envie de tourner les pages !
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