L'écume des pâtes

Texte : Ornella Vaiani
Photos : ©Studio Payol ©Contrada Govinda


Ornella Vaiani est franco-italienne et partage son temps entre Rome et Lille. Passionnée d’art - y compris culinaire, elle est partie à la rencontre de Tommaso Melilli, chef et écrivain, auteur de L’écume des pâtes.

Véritable livre « on the road », L’écume des pâtes nous transporte aux quatre coins de l’Italie, à la rencontre de chefs et de leur brigade. Si l’objectif initial était de partir à la recherche de la véritable cuisine italienne, ce livre est également une immersion dans le quotidien d’hommes et femmes engagés et passionnés, épris de l’histoire de leur pays. Tommaso nous parle de cuisine, de blasphèmes culinaires et n’hésite pas à redonner à César, ce qui appartient à César ! Mais surtout, Tommaso réveille nos appétits et notre curiosité.

Dégustation en trois temps, suivie d’une interview de ce chef italien humble et généreux, votre virée italienne peut débuter.

Ma première rencontre avec Tommaso Melilli a lieu sur une route ensoleillée et tortueuse de Corse le 5 août 2020. La radio est allumée, je ne suis pas la conductrice du véhicule et j’ai tout le loisir de somnoler face à cette chaleur torride qui tombe à pic sur l’horaire de digestion. Mais avant cela je prends le soin de changer de station de radio et me voilà bien vite sortie de ma torpeur. L’homme qui parle à la radio s’appelle Tommaso, son français est irréprochable, il arbore un magnifique accent italien, dit qu’il n’aime pas spécialement partir en vacances et que, quand il était petit, dans son village, il était le seul enfant de son âge. Ou peut-être pas. Mais en réalité il n’a jamais vraiment vérifié pour ne pas rompre le charme. Comment ne pas être conquis ? Faisons connaissance. 

Tommaso Melilli est chef et écrivain. Dressons donc la table et feuilletons le menu : un portrait aux petits oignons de notre protagoniste, un plat de résistance qui n’est pas fait de pâtes mais plutôt de son écume et un dessert proustien : madeleine et interview.

L’Écume des pâtes est un road-trip dans les cuisines italiennes de Turin à Crémone en passant par Milan et Rome.

Entrée

Tommaso est né à Crémone, au Nord de l’Italie en 1990. Le bac en poche, il décide de quitter son pays pour s’installer dans la Ville Lumière. Si son projet est d’étudier la littérature et la philosophie, une toute autre idée fleurit depuis de nombreuses années dans son esprit : se construire une carrière de cuisinier et de chef. Dans le cas de Tommaso, son attrait pour la cuisine commence assez tôt, lorsqu’il était encore enfant et se prêtait à des recettes improvisées.

ˮÀ la campagne on est seul et enfant je n’aimais pas être seul, je n’aimais donc pas la campagne. Certains après-midis, je m’asseyais par terre, sans doute sous un abricotier : je rassemblais tous les sous-pots en plastique vert que je trouvais et je préparais des soupes de fleurs pleines de fantaisie, avec de l’eau du robinet, des pissenlits, des violettes, de la chicorée sauvage et des marguerites. Je m’installais et je touillais. De temps en temps, j’ajoutais une fourmi morte ou une coccinelle et je continuais de touiller pendant un quart d’heureˮ.

Extrait de l’Ecume des Pâtes


Si Tommaso est aujourd’hui devenu un chef incontesté, il maitrise également l’art de la plume. Son premier livre « Spaghetti Wars, journal de front des identités culinaires » (Éditions Nouriturfu, 2018) se présentait comme « un livre d’histoire et d’analyse sans toutefois avoir l’air de l’être ». Le livre est en effet truffé d’humour, d’honnêteté et de recettes. En même temps, Tommaso collabore avec le magazine Slate puis avec le supplément du journal Repubblica en Italie – Il Venerdì - où il allie de façon magistrale l’utile à l’agréable : une bonne recette mais aussi une belle histoire.

Chaque plat est en effet précédé d’une petite narration. Ces dernières passent au crible les aspects les plus intéressants de la littérature, de l’histoire, de la culture générale ou de souvenirs personnels : anecdotiques et succulentes, elles vous en apprendront davantage sur l’inventeur des râpes, sur le style épuré et sans adverbes d’Hemingway, sur une figure de style ou le verlan ou encore sur l’odorat.

©Studio Payol

©Studio Payol

Pour reprendre son expression, notre cuisinier est aussi un homme qui aime mettre « les coudes sur la table »,  c’est- à dire accueillir ses hôtes, expliquer les plats, consacrer du temps à ce qui compte, à ce qui n’est pas anodin, à ce qui doit être éclairé. Tommaso fait ses armes dans différentes cuisines et restaurants de Paris. Une expérience qui se termine avec le poste de chef au Comptoir.

Une décennie parisienne et une pandémie mondiale forceront Tommaso à mettre fin à cette expérience. L’occasion pour Tommaso d’engager de nouveaux projets et d’ouvrir un nouveau chapitre de son aventure culinaire. Comme une évidence, il retourne à la source et entreprend une virée au Nord de l’Italie -avec une petite escapade à Rome- pour sortir son deuxième roman : l’Écume des pâtes, à la recherche de la vraie cuisine italienne. Et voilà, notre plat principal est servi. 

Une décennie parisienne et la pandémie mondiale forceront Tommaso à mettre fin à son expérience dans divers restaurants parisiens pour se tourner vers de nouvelles aventures

Plat de résistance

L’Écume des pâtes (éditions Stock, 2020) est donc un road-trip dans les cuisines italiennes  de Turin à Crémone en passant par Milan et Rome.

Si Melilli est expert dans l’art de dresser les assiettes, ce sont ici de magnifiques portraits de restaurateurs, de restaurants ou de brigades de cuisiniers  qu’il nous dresse.

A travers ce livre, l’objectif de Tommaso est de nous faire découvrir la vraie cuisine italienne. Mais pas seulement. Il cherche également à percer le secret d’une alchimie spéciale, celle qui flotte dans l’air lorsque l’on va manger quelque part et qui fait que l’on s’y sent bien. De l’instinct qui pousse restaurateurs, chefs et équipes en salle à accueillir, à donner de la joie, et partager un amour certain pour leur métier.. Tommaso nous livre les secrets de certaines cuisines, véritables espaces à conquérir pour nous dire enfin que la tradition n’existe pas : seule la recherche existe, d’autant plus que « la cuisine à l’ancienne est une boite fermée dont nous n’avons pas la clé ». L’écume des pâtes se savoure mais se dévore aussi,. Au fond, je pense qu’il nous dit surtout que si l’on fait les choses avec soin et avec passion, tout est possible ou presque. Finalement, c’est un peu un monde meilleur qui filtre entre ces lignes, fait de saveurs concoctées avec de petites et grandes passions. 

La cerise sur le gâteau

Vous prendrez bien un peu de dessert ? 

Son périple terminé, Tommaso pose finalement ses valises à Milan. En collaboration avec le boulanger-agriculteur le plus célèbre de la ville – Davide Longoni, ils décident de reprendre le restaurant la Contrada Govinda, situé à un jet de pierre du fameux Duomo.

Lorsque je le rencontre enfin dans son restaurant en octobre, Tommaso est comme l’on apprend à le déchiffrer dans le livre : humble, curieux, plein d’esprit, décidé mais aussi généreux : malgré un emploi du temps surchargé, il partage sans sourciller son temps avec moi.

©Contrada Govinda

Interview

Tommaso, as-tu une madeleine de Proust ?

Nous en avons tous une ! La mienne,  ce sont les gnocchi alla romana, une recette de ma grand-mère.

Pour Slate et pour le Venerdì de Repubblica tu nous livres des recettes qui sont précédées d’une petite histoire. Ces anecdotes nous parlent d’un livre, d’un personnage, d’un souvenir ou d’une expression. Comment naissent-elles ? C’est un fait précis qui t’inspire la recette ou est-ce plutôt le contraire ?

Cela dépend et il n’y a pas de règle générale. Par exemple la dernière fois je lisais La promesse de l’aube de Romain Gary et puis voilà que dans sa description de bonheur inouï figurent les concombres salés. C’est tout à fait le genre de choses qui peut m’inspirer instantanément.. 


Tu as souvent cité La ligne d’ombre de Joseph Conrad. (Huis-clos maritime qui met en scène le passage de l’âge de l’insouciance à celui de l’âge adulte à travers les vicissitudes d’un jeune marin qui devient capitaine). Est-ce que tu y vois la métaphore d’un jeune cuisinier qui prendrait les rênes d’une cuisine devenant ainsi chef tout en découvrant les joies et les peines de l’âge adulte ?

Oui complétement !Mais ce qui est drôle c’est que j’ai lu ce livre après avoir écrit le mien et je me suis dit « ah d’accord j’ai fait un remake» Et puis il décrit vraiment cette situation pour laquelle tu arrives à atteindre une certaine stabilité, tu ne risques presque rien et puis une proposition arrive et remet totalement le schéma dans lequel tu te trouves !. 

Quel a été l’enseignement le plus précieux de toutes ces années à Paris ou de ce voyage itinérant dans les cuisines du Nord ?

Très certainement ce qui est au cœur du livre, c’est-à dire prôner une cuisine directe, immédiate, ce qui n’exclut pas forcément la complexité.
On s’est rendu compte aussi qu’il n’y avait plus de sphère domestique. Pendant la pandémie et le confinement on a eu l’illusion qu’on pouvait se remettre aux fourneaux, faire son pain, ses pizzas maison, mais est-ce que cela a duré bien longtemps ? Car en même temps les sociétés de livraison à domicile et en général les services de click&collect des restaurants ont enregistré une montée en flèche incroyable. Il ne faut pas se leurrer. 

Écriture ou cuisine, si tu ne devais en choisir qu’une ?

Peut-être l’écriture parce que c’est un exercice où l’on est seul et c’est en écrivant et en persévérant qu’on comprend vraiment. Si l’on veut s’améliorer on ne peut que compter sur soi-même. Personne ne peut le faire avec nous ou à notre place. La cuisine se transmet. C’est ce que j’essaie de faire avec la Contrada et en général c’est ce que je souhaite à chaque restaurant. Quand j’ai accepté de superviser la Contrada je voulais vraiment pouvoir transmettre quelque chose à de jeunes professionnels, créer des frontières et former des personnes plutôt qu’un lieu, en espérant que par la suite ils puissent ouvrir leur propre restaurant et poursuivre cette recherche, cette cuisine immédiate mais intéressante. 

Concernant l’Écume des pâtes, « Cette solitude-là » est un chapitre qui laisse vraiment une trace, il se situe presque à la moitié du livre, on ressent une vraie émotion et on peut même y voir un tournant dans la narration…

Tout à fait, il y a vraiment deux livres. Un premier livre jusqu’à ce chapitre et puis un autre qui commence juste après et où finalement je ne parle quasiment plus de nourriture. Avant Trippa (adresse incontournable à Milan, cuisine de tradition mais moderne et fascinante) je suis en terrain connu pour ainsi dire. Les histoires de Trippa, de Diego et de Yuri sont incroyables. Trippa est probablement le restaurant qui fonctionne le mieux à Milan. C’est le lieu qui m’a poussé hors de mes retranchements et ce fut aussi un chapitre difficile à écrire car il ne faut pas croire mais raconter le succès, ce n’est pas facile. Cette solitude-là est aussi un hommage aux Huit Montagnes de Paolo Cognetti. (livre ayant remporté un Prix Strega et un Prix Medicis pour l’étranger). 

As-tu des lacunes à combler, des choses à apprendre
L’expérience à la Contrada Govinda est un défi, une cuisine végétarienne, un restaurant où l’alcool est banni ainsi que l’ail ou les oignons. (Contrada Govinda est un restaurant qui reste attaché aux prescriptions diététiques lacto-végétariennes du mouvement Hare Krishna )

As-tu de futurs projets à partager?

J’en suis à l’écriture du troisième livre qui parlera de la ville de Milan mais en sortant évidemment des sentiers battus. Ça parlera de cuisine mais pas uniquement. Je parle de professionnels, de métiers, de conditions de travail. 

Enfin, as-tu une devise ?

Disons…raconter une histoire comme si on concoctait un bon petit plat et cuisiner comme si on dressait une belle histoire.

Digestif

Dans le chapitre consacré à Giovanni Passerini -restaurateur italien rencontré à Paris et qui revêt une importance toute particulière dans ses premières années de formation- Tommaso fait l’éloge de ce chef en ces termes « Il fait partie de ces très rares personnes qui, lorsqu’on les entend parler, même de loin, donnent l’impression de dire des choses intéressantes dont on ne voudrait pas perdre une miette ». Il semblerait alors que Tommaso n’ait pas seulement hérité du don de la cuisine car  c’est exactement le sentiment et l’impression que j’ai quand je l’entends parler de loin avec les clients de la Contrada Govinda, et qui s’est confirmée plus tard quand j’ai finalement eu la chance de pouvoir m’entretenir avec lui. Tant et si bien qu’on aurait même envie de remonter le temps, pour être le deuxième enfant du village, celui qui lui aurait tenu compagnie sous l’abricotier et aurait continué à touiller la soupe de fleurs. 



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