La ferme Sarraud : la lavande à l'état pur

Texte : Elina Baseilhac
Photographies : Anaïs Baseilhac


Sur le plateau de Sault, dans le Vaucluse, à quelque 700 mètres d’altitude, la lavande pousse sur d’immenses étendues. Les ancêtres de Marc Cheyrias l’exploitent depuis les années 1500. Dans sa ferme de Sarraud, il fabrique des huiles essentielles de lavande et ses produits dérivés dans la plus pure tradition. Cicatrisante, désinfectante et relaxante, cette huile est reconnue pour ses multiples vertus. Malgré les difficultés liées aux nouvelles législations, à la chaleur croissante pendant les périodes estivales et au manque de main d’œuvre, la transmission familiale de l’entreprise Sarraud est toujours assurée. Fin août, la grosse saison se terminait avec les dernières distillations pour cette année 2022 précoce.

14h. A la distillerie, les ouvriers ont repris le travail sous l’oeil vigilant du patron, Marc Cheyrias. Ils ouvrent le lourd couvercle de l’alambic pour sortir les brins de lavande déjà distillés. Une épaisse fumée s’échappe de l’antre chaude quand le paquet imposant est tiré mécaniquement puis jeté à l’extérieur. Il servira de fertilisant pour les plus de 200 hectares de terres cultivées. Marc s’installe au tractopelle pour piocher dans la montagne de lavande à l’arrière et recharger la cuve. Les hommes l’aident à la fourche et aux pieds. Au vacarme assourdissant du moteur de la chaudière et du tracteur s’ajoute le bruit des chaînes qui roulent sur la cuve en métal. On boucle les vannes et la distillation est enclenchée pour une quarantaine de minutes. Une forte odeur aigre flotte dans l’espace réduit.

Pendant la distillation, c’est 14h de travail par jour, même le dimanche 
Ferme Sarraud - Relief Mag
Ferme Sarraud - Relief Mag

Marc compte environ 2 tonnes de lavande pour 35 litres d’huile essentielle. Chapeau sur la tête et en chemise à carreaux, l’œil rieur, il lève vers le soleil une tige de la précieuse plante : « Vous voyez les petits points qui brillent ? C’est ça l’huile essentielle ». Elle est extraite de la plante par la vapeur de la chaudière qui ronronne. A l’étage au-dessous, elle ressort liquide par un robinet. Elle a été refroidie et recondensée dans le serpentin pour être partagée en hydrolat et en huile. L’huile, moins dense que l’eau, flotte à la surface.

La lavande de père en fils

« Je suis un extraterrestre, un des derniers à distiller comme ça », explique Marc Cheyrias. D’après lui, les productions d’huile essentielle de lavande, qui ne cessent de proliférer, sont beaucoup plus mécanisées. « Aujourd’hui, on fait pousser de la lavande partout, même en Picardie », ajoute-t-il. Il rappelle que la Bulgarie est le premier producteur mondial de lavande. Selon lui, les méthodes de culture et de distillation ne respectent pas les propriétés de la lavande et lui enlèvent de sa valeur. « C’est une plante de Provence, ça doit rester à la Provence », assène-t-il.

Franck Cheyrias, le fils de Marc, s’est engagé à reprendre l’exploitation, assurant ainsi une continuité à leur ferme familiale, vieille de plus de 6 générations

Chez les Cheyrias, la culture de lavande est une histoire de famille, depuis six générations. « Les anciens coupaient la lavande sauvage à la main dans la colline », raconte Marc. Puis, ils ont commencé le labour à l’aide de chevaux. « C’est mon grand-père qui a commencé à planter, vers 1920 », explique le producteur.

Son fils Franck, sans mot dire, l’écoute attentivement. Il participe à tout le processus et s’est engagé à reprendre la ferme. Une grande fierté pour son père. « Ca me fait plaisir, la chaîne ne s’arrête pas », confie-t-il.

Ferme Sarraud - Relief Mag

Pourtant, c’est un métier difficile et Marc peine à trouver de la main-d’œuvre. « Pendant la distillation, c’est 14h de travail par jour, même le dimanche », note-t-il. L’alambic est rechargé 17 à 20 fois dans la journée, à la force des bras. Alors, c’est Nour le Tunisien qui revient travailler 6 mois chaque année, depuis 30 ans. Cet été, il a emmené avec lui ses deux neveux.

Les chaleurs précoces ne facilitent pas le processus, avec des années qui commencent de plus en plus tôt. L’hiver est consacré à l’entretien des champs, le labour, l’engrais. Et la coupe recommence dès le mois de juillet.

Ferme Sarraud - Relief Mag

 100% pur et naturel

Les clients de la ferme Sarraud, pour la plupart des grossistes en aromathérapie, sont toujours fidèles à sa qualité. Sa production est importée en France et à l’international, jusqu’aux Etats-Unis. En plus d’un tout nouveau site internet, les Cheyrias vendent aussi au détail, dans la « boutique ». Il s’agit d’un simple stand en bord de route, entouré des champs de lavande coupée. Tenu par Anneli, la femme finlandaise de Marc, qu’il a rencontrée quelques années plus tôt, il recèle les merveilles de la ferme. Huiles essentielles et eaux florales, bien sûr, mais aussi crèmes, bougies, bouquets et sachets de fleurs séchées sont vendus aux touristes de passage.


Lavande vraie, lavande aspic, lavandin, quelles différences ?

La lavande vraie ou fine est la lavande sauvage, celle qui est à l’origine de toutes les autres et qui ne pousse qu’en Provence. Son brin unique est irrégulier.

La lavande aspic est une espèce botanique différente de la lavande vraie. Elle peut se développer en plusieurs brins.

Le lavandin est un hybride, fruit du croisement naturel de la lavande vraie et de la lavande aspic. A plusieurs brins et très régulier, c’est lui qu’on retrouve dans les caractéristiques « mers » de lavande.


En face, un panneau «Lavandes en danger » est bien planté dans le sol. Ces panneaux ont fleuri dans les champs de lavande suite au règlement REACH* entré en vigueur en 2007. Il contrôle les productions de substances chimiques, auxquelles appartiennent les huiles essentielles. Le linalol, substance naturellement présente dans l’huile essentielle de lavande, considéré comme un allergène, menacerait son marché. La ferme Sarraud est contrainte à payer une taxe sur la distillerie et apposer un label sur ses produits finis. « Mais c’est un produit 100% pur et naturel, je l’utilise depuis que je suis tout petit et encore aujourd’hui, l’huile essentielle de lavande m’aide beaucoup, quand j’ai mal aux épaules ou que je suis enrhumé », confie Marc.

En imposant des contrôles stricts et en forçant à la labellisation de produits finis, le règlement européen menace fortement la pérennité des producteurs de lavande.

Sous ses pieds, le vent fait voler les calices qui parsèment le sol. C’est le dernier jour de distillation, et les quantités n’ont pas été celles attendues. Mais il n’est pas prêt d’arrêter son activité, qui est d’abord celle d’un paysan qui travaille son terrain. « Je savais depuis tout petit que je reprendrais l’exploitation », se souvient-il. Pour son fils, s’inscrire dans la continuité semble tout aussi évident. « On est ancrés à cette terre, on lui appartient », conclut Marc Cheyrias.

*REACH : règlement européen mis en place en 2007 pour recenser, évaluer et contrôler les substances chimiques de l’industrie européenne. Acronyme de enREgistrement, Evaluation et Autorisation des substances Chimiques. Source ecologie.gouv.fr

—-

Quelques semaines après notre reportage, le verdict est tombé. L’année a été « catastrophique », selon Marc Cheyrias, avec un tiers seulement de la production habituelle. « La chaleur caniculaire a brûlé les récoltes », explique-t-il. Pas de quoi baisser les bras pour le producteur qui n’y voit rien d’anormal. « Un paysan connaît une année d’or tous les 10 ans, mais il ne sait jamais si la récolte en cours sera bonne ou mauvaise ».

 

Galerie