La Boulangerie Maurice

Propos recueillis par Camille Sultra
Photographies : Elodie Villalon


5h30 du matin. Les briques rouges de ma jolie ville natale n’ont pas encore eu le temps de se gorger des rayons du soleil. Une douce brume matinale accompagne notre trajet vers une petite boulangerie située dans le quartier des Salins. Nous apercevons au loin les seules lumières de la rue Grand Nazareth et nous apprêtons à découvrir le quotidien de Baptiste, artisan-boulanger. Quiconque ne connait pas sa boulangerie pourrait croire qu’il s’agit là d’une énième boulangerie citadine dans laquelle dorent au four classiques baguettes, croissants et chocolatines. Il n’en est rien.

Chez Maurice, les habitués viennent chercher un pain avec une histoire, des valeurs. Un pain engagé. Car il est bien question d’engagement dans le reportage qui va suivre. Fervent défenseur des savoir-faire artisanaux et ancestraux qui lui ont été transmis, Baptiste façonne au quotidien ses fournées de pain avec pour seuls outils, ses mains, sa maie et son four.

En le regardant travailler, nous nous demandons si faire son pain ne serait finalement pas un acte de résistance. Une résistance aux ultra qui menacent nos sociétés : ultra industrialisation, ultra productivité, ultra rentabilité. De cette soif de performance technologique et économique résultent pourtant des conséquences désastreuses pour le vivant. A quelques lignes de faire basculer cette introduction en un manifeste, je vous invite plutôt à découvrir la beauté et la douceur d’une panification consciente et engagée.

Sans poésie, le pain n’est rien

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Baptiste et je suis le fondateur de la boulangerie Maurice, une boulangerie militante située à Toulouse. Je propose exclusivement des pains aux blés paysans - blés anciens, au levain et pétris à la main.

Quel a été ton parcours professionnel ?

J’ai eu beaucoup d’expériences professionnelles dans des secteurs qui n’avaient souvent rien en commun. J’ai longtemps couru après la chimère du métier, persuadé que cela me permettrait de trouver ma place. En 2018, je suis tombé par hasard sur une conférence TedX de Christophe Hermanns qui traitait du multipotentialisme. Cette prise de conscience m’a aidé à comprendre que ma place serait justement de ne pas en avoir. Je vois chacune de mes expériences comme une étape qui m’amène vers une construction plus globale.

Quelles sont les raisons qui t’ont incité à devenir artisan-boulanger ?

En 2016, j’ai tout quitté pour aller m’installer dans le Lot. J’avais cette envie de faire du pain depuis des années et cette nouvelle vie m’en a donné l’opportunité. Je suis allé à la rencontre d’un grand nombre de paysans/boulangers de la région pour me former à la panification au levain, aux blés paysans et au feu de bois. Ces premiers essais ont été une révélation et j’ai senti à ce moment là que cette nouvelle expérience allait durer plus que les autres. La preuve en est. Six ans plus tard je suis toujours rempli d’enthousiasme pour ce métier dans lequel je continue de me perfectionner, d’apprendre et de découvrir. J’ai travaillé par la suite aux côtés d’un paysan meunier pendant un an , qui m’a formé aux bases des techniques agronomiques relatives à la culture des blés paysans ainsi qu’à la mouture sur moulin Astrié.

Pourquoi avoir fait le choix de travailler des farines de blés anciens ?

Il y a tellement à dire sur le sujet ! Tout d’abord je préfère parler de blés paysans car ce sont des blés qui garantissent une autonomie semencière aux paysans qui les cultivent. Ces derniers peuvent récupérer une partie de la récolte pour la semer à nouveau l’année suivante. Avec les variétés modernes, l’agriculteur est dépendant des grandes compagnies semencières à qui il doit racheter chaque année ses semences. C’est un système honteux d’appropriation du vivant qui a déjà réduit la biodiversité de façon dramatique.

Les blés paysans garantissent une autonomie semencière aux paysans qui les cultivent

Quand on parle de blés paysans, on parle communément des variétés antérieures à 1945, c’est à dire antérieures à toute forme d’hybridation artificielle. Ces blés n’ont pas de grand rendement et avec leur faible taux de protéines (et donc de gluten), ils ne sont pas adaptés à la mécanisation du travail de la pâte. Dans les années 50, la boulangerie s’est modernisée et le travail de la pâte fortement mécanisé. Face à la nécessité d’avoir des pâtes de plus en plus élastiques pour pouvoir résister au passage en machines, on a donc sélectionné des blés avec toujours plus de gluten.

Aujourd’hui, bon nombre de farines arrivent même chez les boulangers avec du gluten rajouté. Avec la montée en flèche des cas d’intolérance au gluten, l’on commence à mesurer l’ampleur des conséquences sanitaires d’une filière qui s’est empêtrée dans le cercle vicieux d’un productivisme aveugle. J’aimerais également souligner ici que le bio n’est pas synonyme de qualité nutritionnelle ni de digestibilité. Les boulangeries bio travaillent presque exclusivement avec des blés modernes qui sont donc toujours aussi indigestes et néfastes pour la santé.

©Elodie Villalon

Avec les variétés modernes, l’agriculteur est dépendant des grandes compagnies semencières à qui il doit racheter chaque année ses semences

Le choix de travailler avec des blés paysans participe à :

  • promouvoir la biodiversité des semences cultivées

  • soutenir une production militante

  • développer une agriculture bio en circuit court

  • réduire les problèmes dus à la sensibilité au gluten

  • aller dans le sens d’une sobriété énergétique par le refus de la mécanisation

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

Tu as fait le choix d’une production entièrement manuelle. Peux-tu nous raconter les étapes de fabrication de ton pain ?

Sans poésie le pain n’est rien ! Accompagner le vivant est une affaire de conscience de tous les phénomènes en cours et c’est cette dernière qui me conduit à un émerveillement quotidien.

Tous les matins se rencontrent dans ma maie - pétrin en bois la farine chargée du soleil de l’été, l’eau pure - je fais le choix de la filtrer, le sel brut de Guérande et les millions de bactéries et de levures que je nourris au quotidien depuis le début de cette aventure. J’ai toujours la sensation de créer un monde et c’est un moment que j’apprécie vraiment. Je suis au calme, sans le bruit des machines, juste mon souffle et le son de la pâte qui prend forme dans mes mains. Une fois l’étape du pétrissage réalisée, je façonne ma pâte en pâtons avant de leur laisser tout le temps dont ils besoin pour pousser, développer leurs arômes et se transformer en délicieux pains !

Mes pains sont pétris à la main dans une maie. Mes seuls ingrédients sont mon levain, de l’eau filtrée, de la farine de blés anciens et du sel de Guérande.

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

Je les laisse se reposer jusqu’au lendemain où je les cuis enfin. C’est d’ailleurs une étape que j’appréhende toujours un peu et ce malgré les années d’expérience. Je crains que mes pains ne lèvent pas, ou que quelque chose déraille mais la magie opère toujours : l’eau, la farine et le sel deviennent pain !

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

©Elodie Villalon

Tu gères seul toutes les tâches inhérentes à ton entreprise. Comment parviens tu à t’organiser ?

Cela requiert une discipline de vie quasi militaire mais pour le moment ça fonctionne. Je travaille beaucoup,c’est vrai, et ma vie personnelle en pâtit mais j’ai aussi conscience que c’est une phase transitoire. Heureusement, il y des moments de grâce qui à eux seuls justifient tous les sacrifices.

Quels sont tes futurs projets ?

J’en ai tellement ! J’ai compris que je pouvais canaliser mon multipotentialisme sur un projet alors je m’en donne à coeur joie. J’envisage d’ouvrir un nouveau lieu, plus grand avec une proposition plus large. J’aimerais cultiver mon blé pour faire ma propre farine. Je veux également lancer une ligne de vêtements Maurice - et pourquoi pas ?, mais aussi développer ma chaine YouTube et bien d’autres choses encore.. Mais je ne dévoile pas tout d’un coup, il faut garder une part de mystrère.

Mais d’ailleurs, qui est Maurice ?

Maurice était mon grand-père. Il était agriculteur et je lui dois mon amour pour le calme et la nature. Donner son nom à ma boulangerie est une façon de maintenir sa mémoire vivante. Certains clients m’appellent “Maurice” ou disent “On va chez Maurice”, j’adore ça et je suis certain que ça lui aurait beaucoup plu.

©Elodie Villalon


Découvrir la Boulangerie Maurice

@boulangerie_maurice


galerie